Gérard-COURANT

Gérard-COURANT
Gérard Courant, cinématon 1000, 1987

Erik-DIETMAN

Erik-DIETMAN
Tombe, 1992 , Pierre, fer et bronze , 115 x 113 x 114 cm Photo : Domingo Djuric

Piotr-KLEMENCIEWICZ

Piotr-KLEMENCIEWICZ
Planevation n°2, 1993 , Huile et acrylique sur toile , 195 x 130 cm

Piotr-KLEMENCIEWICZ-Fondation-Hippocrene

Piotr-KLEMENCIEWICZ-Fondation-Hippocrene

Wolf-von-KRIES

Wolf-von-KRIES
Product classement, 2002 , Photographie

François-MENDRAS

François-MENDRAS
Sans titre, 2000 , Cire sur bois , 310 x 50 cm

Antonio-RECALCATI

Antonio-RECALCATI
Le violon rouge d'Hortobagy, 2003 , Huile sur toile , 100 x 150 cm Photo : André Morain

juillet - novembre 2003

Propos d’Europe II

« Nous unissons des hommes », aimait à répéter Jean Monnet.
Il est clair que ce sont les rencontres entre les hommes et entre les institutions qui sont, le plus souvent, à l’origine de la création ou du progrès.
Certaines de ces rencontres paraissent le fait du hasard, et on s’étonne parfois de voir comment le destin organise, à travers les agencements les plus complexes, des rencontres aussi fructueuses.
C’est apparemment un hasard si la Fondation Hippocrène a pu acquérir l’ancien atelier de l’architecte Rob Mallet–Stevens. Mais il apparaît que cet atelier chargé d’histoire est un lieu inspiré où les rencontres trouvent naturellement une atmosphère de chaleur humaine et de sympathie.
Le nom de Mallet–Stevens est lui–même évocateur d’innovation et d’audace dans la conception. Après une période de relatif effacement, il revient sur le devant de la scène.
Il était donc assez naturel qu’en préparant une nouvelle exposition d’art européen contemporain, après le succès rencontré par celle de l’an dernier, la Fondation ait songé à proposer comme thème central « l’espace construit ».
Une nouvelle fois, Pascale Le Thorel a bien voulu accepter d’ajouter à ses lourdes et importantes responsabilités, celle de commissaire de cette exposition qui bénéficie de sa compétence et de son talent. Qu’elle en soit ici chaleureusement remerciée.

Jean Guyot

 

« Le public est paresseux, il lui est agréable de savoir, sans effort, où il se trouve, et les architectes ont eu le tort d’encourager ce défaut. “Pour le public”, l’église est ogivale, le palais de justice est classique, l’hôtel de ville est Renaissance, le bureau est Empire, le salon est Louis XVI et il est admis que le dancing soit moderne. Le “moderne” pour nombre de gens ne “fait pas sérieux”, c’est un amusement.
Quelques personnes ont dans leur appartement, “une” pièce moderne, de même que certains malades condamnés à un régime alimentaire sévère se permettent parfois un excès ; on s’en défend, on se le reproche, mais on y tient ! La chambre moderne est à l’appartement ce que le homard à l’américaine est au dyspeptique. »

Rob Mallet-Stevens

 

La Fondation Hippocrène montre pour la deuxième fois, dans l’ancienne agence de l’architecte Rob Mallet–Stevens, des oeuvres d’artistes européens qui travaillent en France ou d’artistes français qui ouvrent leur regard sur l’Europe.
 

Cette proposition répond aux voeux de la Fondation Hippocrène de montrer la création en Europe, avec pour l’Allemagne : Wolf von Kries ; pour la France : Gérard Courant et François Mendras ; pour l’Italie : Antonio Recalcati ; pour la Pologne : Piotr Klemenciewicz et pour la Suède : Erik Dietman. Elle s’élabore autour de la reconstruction de l’espace par les artistes.
Elle relève la contrainte du champ de la caméra pour les portraits cinématographiques de Gérard Courant ; de la délimitation du vide — lieu de la présence et de l’absence — pour la sculpture d’Erik Dietman, de l’ombre, de la lumière, et du trompe–l’oeil pour les maisons de Piotr Klemenciezwicz, de l’espace de la ville, où se cristallisent et se mêlent les emblèmes de chaque époque et civilisation pour la proposition de Wolf von Kries, d’un espace sans limites pour François Mendras ou de l’espace ailleurs pour Antonio Recalcati.
 

Rob Mallet–Stevens, dont le père était expert en tableaux (de Degas, Manet, Monet, Pissaro ou Sisley) et dont l’oncle le Baron Stoclet avait passé commande à Joseph Hoffmann du célèbre Palais Stoclet de Bruxelles, a toujours souhaité, dans tous ses projets, que se complètent et se répondent tous les arts. Sorti major de l’Ecole spéciale d’architecture, s’étant intéressé au cubisme, au Bauhaus, Rob Mallet–Stevens a été le principal initiateur, puis le Président de l’Union des Artistes Modernes (UAM), union d’artistes « en sympathie de tendance et d’esprit », à vocation internationale, fondée en 1929. A l’UAM se retrouvaient des créateurs de chaque discipline dont le nom est maintenant inscrit dans l’histoire : Chareau, Guévrékian, Jourdain, Le Corbusier, les frères Jean et Joël Martel, Perriand, Prouvé… Tous ont collaboré avec l’architecte qui affirmait : « L’architecte sculpte un bloc énorme : la maison ». Il semble donc tout naturel qu’aujourd’hui son ancienne agence accueille et permette à des artistes de se croiser.
 

Que plus de cent Cinématons de Gérard Courant — autoportraits d’artistes, de musiciens, d’architectes, de conservateurs de musées, de critiques d’art, de galeristes européens – puissent être montrés dans l’agence, prototype de la cité moderne, de celui qui a réalisé des décors de cinéma pour des films comme Les Mystères du Château de Dé de Man Ray (réalisé à la Villa qu’il avait conçue pour les Noailles à Hyères) ou comme L’Inhumaine ou Le Vertige de Marcel L’Herbier. (Quelques exemples de la programmation : Cinématons de Claude Berri ; Mattia Bonetti ; Jean–Claude Casadessus ; Eric Franck ; Jean–Luc Godard ; Anne Madden ; Joan Rabascall ; Pierre Restany ; Geert Vermeulen, etc.).
 

Qu’Erik Dietman, à qui je tiens à rendre un hommage particulier, puisse être présent avec sa sculpture, lui qui aurait certainement inventé un dialogue avec Mallet–Stevens qui avait imaginé, pour le Pavillon du Tourisme en 1925, un carillon qui jouait chaque heure les musiques d’Arthur Honneger ou de Francis Poulenc. Dietman qui avait répondu par avance à la question même de Propos d’Europe : « Pourquoi je crée en France ? »
« En 1959, mon idée était de partir pour l’Amérique. Mais malheureusement le hasard m’a fait atterrir à Paris. Ainsi je me suis trouvé à côté de Rabelais, de Victor Hugo (l’artiste), de Gauguin, Raymond Roussel, Picabia, Giacometti, des vins de Bourgogne et de Loire, de la cuisine créative et j’ai pu vivre dans la ville de Nadja et Meryon.
 

Aujourd’hui près de quarante ans après, je vis entouré de lepénistes et d’artistes stratèges et dilettantes. Mais les cuisiniers sont toujours là et les vignerons sont en pleine forme. Malgré eux, c’est devenu difficile pour moi, vrai bâtard européen, (les membres de ma famille sont nés et ont habité dans tous les coins d’Europe). Par exemple, si je demande une aide pour une exposition à l’étranger, le fonctionnaire me répond : “Pour quoi ne demandez–vous pas à votre pays ? “Quel pays, celui de mon père, de ma mère, de mon grand–père ? De ma grand–mère ? Celui où je suis né ? Et celui que j’ai choisi ! Et qui m’a donné le Mérite des Arts et Lettres, le Grand Prix national de sculpture et la Légion d’honneur, alors ça ne compte plus! (…) »
 

De même que Piotr Klemenciewicz, qui témoigne autrement de ce rapport à l’autre pays :
« J’ai deux enfances parallèles, celle passée à Marseille et celle de ce pays inconnu d’où je recevais des lettres, des livres et qui constituait un territoire imaginaire qui m’ouvrait des dimensions peu maîtrisables (…). La peinture est peut–être, à travers ma propre histoire, le moyen, le temps (…) pour accomplir ces rencontres sans jamais que ces rapports à Marseille ou à la Pologne ne puissent fusionner. (…) Il m’a fallu aller en Pologne pour me rendre compte que je n’étais pas polonais et, paradoxalement, à Marseille on me considère parfois comme unétranger. Ce phénomène ne cessera jamais. J’ai accepté de ne pas mettre d’ordre dans tout cela et de ne pas appartenir tout à fait à un territoire ou à une identité. »
 

Comme Antonio Recalcati, qui n’a cessé de se partager entre l’Italie et la France, exposant dans l’un et dans l’autre pays, et qui a réalisé un ensemble spécifiquement pour cette exposition.
 

Comme François Mendras, qui engage un autre dialogue avec l’architecte, avec son échelle sans fin, qui pourrait être celle que Jacob a vue en songe — architecture idéale « dont le sommet touchait le ciel », porte du ciel symbolique. Mais aussi Echelle qui annonce, dans la Bible, le moment où il est dit que toutes les familles de la terre sont bénies « à l’ouest, à l’est, au nord et au sud. »
 

Et enfin de même que Wolf von Kries, berlinois qui suit le Programme de recherche de l’École des Beaux–Arts de Paris, qui, avec sa série Product Placement, montre des photographies d’obélisques égyptiennes plantées dans des capitales européennes et illustre ce concept du changement de signification dans le déplacement.